Contraintes VS ouverture

Je classe très grossièrement en deux catégories les jeux de rôle qui proposent aux joueuses d'inventer la fiction à la volée. Ceux qui n'incitent pas à se reposer sur un scénario ou sur une meneuse talentueuse, mais sur les idées de toutes les joueuses et surtout sur un système de règles utilisé comme béquille pour avancer dans une direction intéressante. D'un côté, les jeux qui sculptent par la contrainte ; d'autre part, ceux qui évasent, ceux qui ouvrent des possibilités. Moins de possibilités créatives VS plus de possibilités créatives. ("Créatif" au sens très large : créer le monde, le contexte, tout autant que créer la fiction en disant "j'avance tout droit dans le couloir"). 

Mes exemples antagonistes sont Apocalypse World et Inflorenza. Le premier contraint beaucoup la fiction à correspondre au canon d'une sorte de série TV dans une post-apocalypse à la Mad Max. Les personnages sont construits à partir d'archétypes bien précis, on n'a d'impact qu'en utilisant l'un des quelques moves mis à notre disposition, chaque move a une liste de conséquences possibles finie. La créativité des joueuses s'exprime à travers des choix difficiles, qui imposent un positionnement ; et elle s'exprime en creux des contraintes. Mon hardholder est un incroyable bourrin qui règne par la terreur, mais le +1 de Sharp que je lui ai mis pour le personnalisé un peu va me pousser à révéler un autre aspect de sa personnalité. Mon gunlugger est un tueur inarrêtable, mais j'ai envie de dévier un peu des clichés, alors j'en fais un timide bonhomme qui préférerait ne pas trop avoir à sortir les armes. 

A l'inverse, tout dans Inflorenza semble fait pour laisser un maximum de liberté aux joueuses. L'univers forestier de Millevaux, déjà, est une non-contrainte, un monde conçu pour être  la fois un bac à sable aussi large que possible et le cadre de toutes les histoires que l'on voudrait pouvoir raconter (du moment qu'elles soient tragiques ou dégueulasses !) : 
+ l'Oubli génère toutes sortes d'histoires possibles pour retrouver ce qui a été perdu, et permet les révélations les plus hasardeuses : Vador, je suis ton fils. Mais on peut aussi l'ignorer si on veut, en jouant un Gnome ou un Corax.
+ l'Emprise justifie toutes les transformations possibles, qui rendent plausibles les révélations : Vador, j'étais ton fils
+ l'Egrégore justifie ou bien la télépathie, ou bien la capacité à ressentir à distance les événements importants pour permettre à n'importe quel personnage de s'y rendre
+ et ainsi de suite...
Dans le système de résolution d'Inflorenza, on retrouve un peu de l'envie de donner des contraintes créatives pour aider à amener l'histoire, à travers la mécanique de conflit qui peut imposer les réussites ou les échecs, voir la mort subite des personnages. Souvent on jette les dés pour être surpris. Mais les conflits peuvent toujours être évités si la table ne voit pas l'intérêt de les jouer, les conséquences en sont intégralement décidées à l'avance par les joueuses, les retombées sont des phrases librement écrites - suivant un thème tiré au hasard... ou non. Bref, le coeur de jeu ouvre des possibilités au lieu d'en fermer.
J'avoue ne pas avoir poussé très loin la réflexion - je crois que l'essentiel des jeux de rôles qui sont concernés par ce Fragment sont intrinsèquement à la fois des jeux à contraintes (qu'on a très envie d'appeler "jeux forgiens"...) et les jeux à ouverture. J'ai même peur qu'elle soit une grille de lecture assez médiocre pour réfléchir aux mécaniques et aux propositions des jeux de rôle ! Mais elle ne m'intéresse pas en soit, elle me sert seulement à parler d'un problème bien précis que j'ai avec les jeux à contrainte, notamment les PBTA. 

Mais ça, ce sera une autre histoire. To be continued :o)